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Hommage à MARIE-CLAIRE BLAIS, en présence de RENE DE CECCATTY, éditeur, et SUZETTE ROBICHON. Lectures – 19h

21 janvier 2022 à 00:00

Marie-Claire Blais nous a fait l’honneur de venir présenter tous ses derniers romans à Violette and Co. Elle est décédée le 30 novembre et nous la regrettons profondément. Au-delà de l’immense écrivaine, c’était une personne généreuse, discrète, à l’écoute des autres et du monde. Nous lui rendons hommage en présence de René de Ceccatty, son éditeur français au Seuil, Suzette Robichon, son amie de longue date et organisatrice d’une soirée “prix Médicis” à la Maison de la poésie (Marie-Claire Blais a reçu le Prix Médicis en 1966 pour {Une saison dans la vie d’Emmanuel}). Les comédiennes Clotilde Ramondou et Estelle Aubriot liront des passages de ses romans et des extraits de films seront projetés.

extraits de l’article de René de Ceccatty dans {Les Lettres françaises} :

“Marie-Claire Blais, en mourant le 30 novembre 2021, mettait un point final à une carrière que ses admirateurs avaient crue éternelle. Final, vraiment ? Elle avait eu du mal à terminer sa Comédie humaine, commencée en 1995, sous le titre {Soifs}. Ce qui au départ devait être une trilogie devint avec le temps, sur plus de vingt ans, une décalogie. Et même le dixième tome achevé (en 2018) sous le titre {Une réunion près de la mer}, où tous ses personnages se rassemblaient dans une ultime fête accompagnée d’un incendie criminel et se transformant en atroce tragédie, elle ne se résignait pas à les abandonner. Elle écrivit aussitôt un « spin-off », comme on le dit dans le langage télévisuel des séries, c’est-à-dire une fiction prenant pour protagoniste un personnage secondaire. (…)
Ce nouveau roman, paru au Seuil en automne 2021, juste avant sa mort, fut immédiatement suivi au Québec, où paraissaient en premier lieu ses livres, chez Boréal, par {Un cœur habité de mille voix}, autre « spin-off » d’une série commencée par {Les Nuits de l’Underground} (Stanké, 1978). Elle y mettait en scène un vieux transsexuel, prénommé René, pianiste de boîtes de nuit, entouré de ses amies lesbiennes, qui avaient fait d’autres apparitions dans des romans précédents, notamment dans {L’ange de la solitude} (Belfond, 1989).
Les admirateurs de Marie-Claire Blas étaient essentiellement nord-américains (états-uniens et canadiens). Fidèlement traduite dans son pays d’adoption (elle y vivait depuis plusieurs décennies, d’abord avec sa compagne, l’artiste peintre Mary Meigs, décédée en 2002, puis seule dans une petite communauté de créateurs en Floride, donc, et avait adopté la nationalité américaine), elle bénéficiait d’un immense prestige dans les universités. Dans son pays d’origine, elle était considérée assurément comme le plus grand écrivain québécois, en dépit de sa discrétion et de sa modestie. De stature très menue, parlant d’une voix douce et rieuse, elle avait la réputation d’être une fausse timide, ses yeux ensevelis sous une cascade de boucles, surmontées d’une casquette assortie à un blouson de biker en cuir. (…)
Sa timidité était trompeuse, car elle n’hésitait pas à écrire de virulents réquisitoires politiques contre le néo-libéralisme, contre le capitalisme sauvage, contre tous les racismes, contre la criminalité des puissants, contre les suprématistes blancs et plus généralement contre les Républicains qu’elle avait en détestation. Mais elle le faisait sans abandonner son lyrisme et sa subjectivité, préférant toujours les allusions poétiques aux attaques frontales. (…) Elle avait consacré à sa lutte politique un essai très singulier, {À l’intérieur de la menace} (Les Presses de l’Université de Montréal, 2019), dont la tonalité était déconcertante, en tous les cas inhabituelle pour le genre pamphlétaire. Elle ne changeait pas de style ni de registre par rapport à ses romans. Et l’on se doute que ses adversaires politiques ne pouvaient être que désarçonnés par l’idéalisme dont elle faisait ici preuve. Car, malgré la fermeté de ses positions, elle était totalement dépourvue d’agressivité, et encore plus de haine. (…)
Son œuvre, très précoce, puisqu’elle a publié à vingt ans son premier roman (Institut littéraire du Québec, 1959 et Flammarion, 1961), {La Belle bête}, qui fut considéré, pour le caractère très violent de l’intrigue et de ses personnages, comme scandaleux et la fit immédiatement connaître comme une rebelle — rebelle qu’elle n’était que par authenticité et non par provocation— a été d’une parfaite fidélité à ses partis pris littéraires, politiques, stylistiques. (…)
On peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles cette œuvre acclamée dans son pays et couronnée d’innombrables prix (elle remporta plusieurs fois le Prix du Gouverneur Général), recevant des honneurs multiples (Marie-Claire Blais était membre de l’Académie du Québec, de l’Académie royale de Belgique, du Jury du Prix Prince Pierre de Monaco, après avoir reçu elle-même ce prix, et elle était docteur honoris causa de plusieurs universités) n’obtenait pas en France une attention plus soutenue. Sa mort aujourd’hui éveille un intérêt et appelle des lauriers dont les journaux français ont été pendant plusieurs décennies très avares. On a, dans son pays, souvent souligné que Marie-Claire Blais, parce qu’elle vivait à Key West et mettait en scène en français des personnages anglophones, était en réalité un écrivain américain de langue française. Dotée d’un patronyme anglo-saxon, elle aurait sans doute joui d’une gloire plus tapageuse. C’est possible. Mais sans doute la véritable raison de sa difficulté à retrouver dans la maturité de la part de la presse française et des libraires la curiosité qu’elle avait su susciter à ses débuts tenait-elle à la nature même de son œuvre, dont la priorité était le langage poétique. La difficulté de lecture n’était qu’apparente. Ses phrases très longues, de plusieurs pages, pouvaient décourager un lecteur superficiel. En réalité, le contenu même de ses phrases, qui suivaient le fil intérieur des pensées et des perceptions de ses personnages, un peu sur le modèle de Joyce et de Virginia Woolf, était très limpide. Passant d’un cerveau à l’autre, changeant de scène sans prévenir, l’auteur, qui n’intervenait jamais en son propre nom, laissait émerger l’intrigue d’elle-même. On passait du cabaret « La Porte du Baiser » au bord de mer où traînaient des clochards et des chanteurs des rues, de l’hôpital où agonisait un malade du sida aux associations philanthropiques, du studio d’un peintre à l’auditorium où était créée la nouvelle symphonie d’un jeune compositeur de génie, du front des guerres d’Afghanistan ou d’Irak à la boîte de nuit où un fou tirait sur la foule, de l’Eglise où prêchait une révérente noire philanthrope au couloir de la mort où était enfermé un tueur raciste, d’un cabinet d’avocat d’un petit délinquant à l’hôtel somptueux où un poète finissait ses jours sans achever son œuvre, de manifestations antiracistes au souvenir de l’holocauste ou des guerres coloniales, le tout sous le ciel tropical éblouissant qui parfois déversait des pluies diluviennes et engendrait des tornades meurtrières.
L’art de l’empathie et l’incapacité de juger présidaient à l’écriture de Marie-Claire Blais qui insufflait à ses phrases une forme d’éthique qui n’avait rien d’un moralisme didactique. À une époque où les simplifications rudimentaires et les leçons de conduite aussi sectaires qu’hypocrites l’emportent sur la réflexion et balaient toute nuance, l’œuvre de Marie-Claire Blais était assurément décalée. Elle-même était pourtant formidablement attentive aux œuvres de ses confrères qu’elle soutenait ardemment, qu’ils soient de sa génération ou qu’ils soient beaucoup plus jeunes : elle avait donné son nom à un prix pour couronner les nouvelles sensibilités québécoises ou françaises (par alternance). (…)”

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Date :
21 janvier 2022
Heure :
00:00
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