L’ouvrage{ Oeuvres poétiques : paroles d’un monde difficile : poèmes 1988-2004}, une anthologie de poèmes de Adrienne Rich, a été traduit de l’américain par Chantal Bizzini. Il réunit :Un atlas du monde difficile, Sauvetage à minuit, Renarde, L’école parmi les ruines.
Il est édité par La rumeur libre.
“Une femme sombre, la tête penchée, écoute quelque chose – une voix de femme, une voix d’homme ou l’appel de l’autoroute, nuit après nuit, du métal file le long de la côte, vers le sud, au-delà des eucalyptus, des cyprès, les empires agro-alimentaires, le saladier du monde, le brrr des petits avions qui vaporisent les fraises, chaque baie cueillie par une main en étroite communion, du sang de fraise sur le poignet, du malathion dans la gorge, une communion
Ainsi s’ouvre l’Atlas du monde difficile d’Adrienne Rich, d’une voix lyrique familière, intime. Une voix de femme américaine, porteuse de tradition, une voix whitmanienne, transcendantaliste, et gauchissant cette tradition pour l’élargir, en sortir, en naître, pour ainsi dire.
Lire Adrienne Rich, c’est acquérir une vision cinématographique : du survol des vastes paysages américains à la descente dans les gestes et les attitudes les plus quotidiens, le reportage de l’oeil et de la sensibilité étant soumis à un montage, c’est-à-dire repensé.
L’humain est là, à vif, et nous entrons dans les continents accidentés et assombris de ce monde, à travers les contrées de la mémoire comme à travers les paysages du présent. Nous venons à la rencontre intime de figures de la vie quotidienne et de l’histoire qu’Adrienne Rich juxtapose. Par l’écriture, la poétesse se livre à une exploration concomitante du moi et du monde.
Il y a chez Adrienne Rich une adhérence à la vie ; et je dirais volontiers que son oeuvre est sismographique, elle permet d’élargir au monde l’enregistrement sensible de qui ne s’isole pas, mais prend en compte les autres, engagée dans les conflits et la lutte qui se mènent pour aller de l’inconscient au dicible, puis à l’action. Sa poésie, dit-elle, est « une longue conversation avec les aînés et avec le futur ».”
{{Adrienne Rich}} naît le 16 mai 1929, à Baltimore, dans le Maryland. Dès la publication de son premier recueil A change of World, en 1951, elle est remarquée par W. H. Auden, qui l’influence, de même que Frost, Yeats et Stevens. À son arrivée à New York, en 1966, elle s’intéresse vivement à James Baldwin et Simone de Beauvoir, et lutte avec son mari Alfred Conrad pour la justice sociale, la défense des droits civiques et les droits des femmes. Plus tard, en 1976, elle s’engage dans les mouvements gays et lesbiens, au moment où elle commence à vivre avec l’écrivaine
et éditrice jamaïco-américaine Michelle Cliff. Adrienne Rich meurt à Santa Cruz, aux États-Unis, le 27 mars 2012.
Poétesse, théoricienne féministe, elle a enseigné dans de nombreuses universités américaines renommées, et reçu un grand nombre de prix littéraires. Par ses écrits, tout comme par sa lutte contre le racisme, le militarisme, l’homophobie et l’antisémitisme, elle a acquis une grande influence aux États-Unis. Sa poésie conserve l’empreinte de son cheminement personnel et politique. Ses poèmes sont, à ses débuts, composés suivant une technique dérivée du montage cinématographique, puis sa voix s’affermit, soutenue par sa détermination à «agir d’emblée et ouvertement
comme une femme ayant un corps de femme et une expérience de femme» (Blood, Bread, and Poetry: Selected Prose, 1979 – 1985, Norton, 1986, including the noted essay: “Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence”).
Ce dernier est son essai le plus connu (édité en français : {La contrainte à l’hétérosexualité et autres essais} (Mamamélis). Elle y expose sa théorie du « continuum lesbien” contre l’hétérosexisme. Dans cet essai, souvent comparé à { La Pensée Straight} de Monique Wittig, Adrienne Rich entend problématiser l’hétérosexualité pour la dénaturaliser ; ce n’est plus l’homosexualité qui est un problème mais le modèle hégémonique de l’hétérosexualité. D’après Rich, les femmes vivant sous les injonctions du régime hétérosexuel parviennent toujours à tisser des liens intimes et sentimentaux entre elles, en évoluant dans ce qu’elle nomme un « continuum lesbien » où s’exprime « un large registre d’expériences (…) impliquant une identification aux femmes ». Cette notion de continuum lesbien permet de penser les liens entre féminisme et lesbianisme, tout en explorant les divers formes de solidarités féminines élaborées au sein des sociétés patriarcales.
{{Chantal Bizzini}}, poète, traductrice et photographe, vit à Paris où elle enseigne les lettres classiques dans le secondaire, ainsi que la littérature moderne à l’Université américaine de Stanford in Paris. Elle a publié des poèmes, ainsi que des traductions de poésie anglo-saxonne — notamment d’Ezra Pound, Hart Crane, W. H. Auden, Adrienne Rich, Denise Levertov, John Ashbery, Clayton Eshleman, Quincy Troupe, Henri Cole — italienne et portugaise dans plusieurs revues.